Le petit grenier, Petites histoires de coccinelles

Mon parcours d’entrepreneuse

Témoignage d'Ygaëlle Dupriez sur entreprendre au féminin. Photo Mélanie Meinbach

Ce 20 juin (2024 ;-)), l’Agence de développement local de ma commune organisait une soirée de témoignages et de réseautage pour débuter un futur réseau de femmes entrepreneures en Gaume (la région où j’habite). J’ai eu l’occasion de répondre aux questions pour partager mon parcours d’entrepreneuse. Je me dis que cela pourrait (peut-être ;-)) intéresser les lecteurs et lectrices de ce site.

Description de ton entreprise ainsi que de ton rôle, du métier que tu exerces, de ce que tu fais (description générale de présentation).

J’ai deux marques : La Laine des coccinelles et Coccinelles et compagnie, au moins 4 métiers et beaucoup de tâches différentes :

  • La Laine des coccinelles, depuis 2012 : je produis toute une gamme de produits en laine de mouton, de A à Z : choix de la laine, contacts avec les éleveurs, design de nouveaux produits (ça prend plusieurs années), recherches d’entreprises et suivi de production, teinture artisanale, coupe et couture, commercialisation, recherche de débouchés vers des entreprises en BtoB, comme on dit, etc. Ma gamme a augmenté d’année en année et se compose maintenant de fils à tricoter, chaussettes, gants, mitaines, moufles, semelles, sacs isothermes, maniques, carpettes de bain, tissus, feutres, marmite norvégienne (Marmitou), sacs à tambour, etc.
  • Coccinelles et compagnie – la boutique. Ouverte depuis mai 2021, c’est une boutique d’objets du quotidien équitables et durables. On y trouve art de la table, vêtements et accessoires, jeux, livres, petit mobilier et luminaires, maroquinerie, sandales, tapis, bougies, créations uniques, bijoux, etc. Pour chaque objet, je peux raconter qui l’a fabriqué, où, avec quelles matières premières ET d’où viennent les matières premières, ce qui est très rare. Mon concept est donc la traçabilité complète, en particulier pour m’assurer de l’aspect équitable de la production.
  • Coccinelles et compagnie – l’Atelier. Des stages, cours, ateliers ou conférences sont donnés par des personnes que j’invite ou par moi, selon les thèmes. Par exemple : cours de couture et de yoga, initiation aux cyanotypes, à l’écoprint ou au recyclage textile, Club du fil, stages de réparations textile, de teinture végétale ou de Connaissance de la laine, méditations guidées au tambour, conférences « Climat par-ci climat par-là c’est quoi le problème ?, etc.
  • Accompagnement de porteurs de projets de tous types qui veulent créer leur activité de valorisation de la laine de mouton. Grâce à mon expérience acquise dans La Laine des coccinelles mais aussi par d’autres biais en Wallonie et à l’étranger. 

Je me considère comme ‘’femme à tout faire’’ et j’aime le fait d’être certains jours dans des casseroles de teinture, le lendemain dans la programmation de post facebook, et puis à la recherche de nouveaux produits pour le magasin ou à la préparation et l’animation d’ateliers.

Bon, je ne dis pas que passer l’aspirateur dans l’atelier est ce que je préfère ;-).

Pourquoi avoir choisi de devenir entrepreneuse ? Tes motivations ?

J’ai l’impression de l’avoir toujours été. C’est un peu dans ma nature (et ça peut fatiguer mon entourage, d’ailleurs). Pour moi être entrepreneuse, c’est être entreprenante, entreprendre des projets, ce n’est pas forcément avoir le statut d’indépendante. Et je crois qu’il faut se retirer de la pression par rapport à cela. On peut être une sacrée entrepreneuse en étant salariée, retraitée ou au chômage.

Par exemple, j’ai initié ou participé à la création de plusieurs associations ou coopératives, imaginé de nouveaux projets dans les structures où j’ai été salariée, rénové une maison presque toute seule, j’ai voyagé un mois à vélo toute seule, je suis ou j’ai été administratrice de plusieurs structures, ce qui permet de donner des impulsions et faire des choix, je me suis formée dans des domaines peu connus, j’ai aidé et soutenu plusieurs personnes à la formulation de leur propre projet, etc.

Tout ça, pour moi, c’est être entrepreneuse. Il ne faut pas se cloisonner.

Je me considère d’ailleurs plus comme quelqu’un qui peut lancer des idées, mettre beaucoup d’énergie pour clarifier et créer un plutôt que comme quelqu’un qui aime de suivre les choses jusqu’au bout et de les faire tourner dans la durée.

Et dieu sait que ces personnes là sont importantes et nécessaires !

Le passage au statut d’indépendante à temps complet est venu grâce à un contexte où tout s’est bien aligné :

  • L’envie de travailler à la fois avec mes mains, mon cœur et ma tête (chose impossible comme salariée)
  • L’envie de travailler -pour la fin de ma carrière- à mes projets personnels et plus autant sur les projets des autres (même si en fait je fais encore plein de bénévolat)
  • Le fait que comme les enfants avaient pris leur envol et que la maison était payée je pouvais supporter une (forte) baisse de revenus.

Quels sont les freins et les leviers rencontrés dans le monde de l’entreprenariat ? De manière générale et plus particulièrement pour une femme ?

J’ai eu peu ou pas de freins liés au fait d’être une femme dans ma carrière, et pas non plus dans les projets que j’ai entrepris. Je ne suis pas un bon exemple pour cela, et j’en suis bien contente, même si je sais très bien que ce n’est pas le cas pour tout le monde.

J’ai été directrice d’une grosse association active sur toute la Wallonie quand, avec mon compagnon de l’époque, nous avions 4 enfants en bas âge. Nous avons trouvé des solutions ensemble et partagé les tâches. Cela nous semblait naturel à tous les deux.

J’ai sans doute eu à la fois beaucoup de chance et la volonté de mettre en place les choses comme cela.

Pour entreprendre au sens large, les freins sont à mon avis ceux qu’on se met soi-même : « je ne suis pas capable, quand j’aurai une maison, je ne suis pas assez formée/diplômée, ce n’est pas le bon moment, je n’ai pas de partenaires, etc.

Mais pour entreprendre au sens ‘’être indépendante’’ je crois que le frein principal, pour bien faire les choses, est la capacité d’investissement financier.

En effet, j’ai accompagné plusieurs personnes à créer leur activité, et elles ont finalement abandonné parce qu’elles n’avaient pas la capacité financière d’acheter un stock ou des machines, de vivre quelques temps sans rentrée ou presque, d’aménager un local, etc.

Et il me semble que si on est totalement dépendante de prêts ou de rentrées financières immédiates importantes, on risque davantage de sous-dimensionner le projet et/ou de prendre de mauvaises décisions, soit différentes de ce que l’on veut réellement faire, soit impactantes négativement sur le long terme.

De mon côté, je ne me serais pas lancée, dans une activité de niche si pointue, si j’avais du faire des prêts financiers. Et je mesure ma chance à ce propos.

Quant au business plan, tout dépend comment on l’utilise.

Soit on n’y connait rien en calcul et gestion, il est fondamental de se faire aider pour apprivoiser toute une série de notions.
Soit on s’y connait en gestion et on peut faire dire n’importe quoi à un business plan puisqu’il s’agit d’hypothèses.

Mais il est très important d’être bien au clair sur ses moyens, investissements, calculs de prix, hypothèses de rentabilité, etc.
Si c’est possible, en fonction de l’activité, je dirais de se lancer comme indépendante à titre complémentaire -un statut très intéressant qui n’existe pas dans tous les pays. Il permet de tester le marcher, de connaitre sa clientèle, de vérifier si on aime ça, d’étaler les investissements, etc.

Il faut aimer la solitude, aussi, et être très autonome.

Bien sûr, on voit des clients, des fournisseurs, des partenaires éventuels, des collègues quand on grandit. Mais au jour le jour, on est seule. Soit parce qu’on démarre l’activité toute seule, soit pour pour planifier les tâches, les réaliser, prendre des décisions, etc. quand on est à la tête d’une équipe.

Être autonome parce qu’il faut mettre la main à la pâte à tous les aspects d’une entreprise/d’une activité. Surtout au début.

Être bien dans ses pompes, aussi. Parce qu’il faut accepter de ne pas être appréciée, encaisser de ne pas trouver de clients alors qu’on propose quelque chose de super, remettre en question son fonctionnement, ne pas avoir peur de l’avenir, clarifier ce à quoi on veut arriver, résister au stress, garder le cap tout en adaptant sa manière d’y arriver, etc.

Comment trouver un équilibre vie professionnelle/privée ? Est-ce possible d’en trouver un ? Quels sont les impacts éventuels sur la famille/sur la vie de couple ?

Je ne cherche pas forcément cet équilibre au sens habituel du terme parce que j’aime d’aller marcher une matinée ou de passer une après-midi à bidouiller dans mon atelier, puis de travailler tard dans la nuit.

Par contre je sais que pour d’autres le fait de très bien régler les choses est important.

Ne plus avoir d’enfants à la maison, forcément ça aide à m’autoriser cette liberté.

Je travaillais déjà régulièrement en soirée, mais l’impact sur la vie de couple est néanmoins important sur 2 points :

  • Je travaille tous les samedis, cela contraint sacrément les weekends.
  • Je n’ai plus de jours de congés payés et je suis seule dans mon entreprise. Donc si je ferme le magasin/atelier, je ne gagne rien. J’ai donc nettement moins de facilité à prendre une semaine de vacances qu’avant.

Quels sont tes conseils pour se développer et maintenir son entreprise ? Conseils pour quelqu’un qui se lance, points d’attention ?

Oui, j’ai plus de plaisir à travailler, je me sens plus créative, j’organise mon temps comme je le souhaite, j’ai des clients et surtout des clientes vraiment adorables. Et, surtout, j’ai l’impression d’être plus utile au monde à ma microscopique échelle et de vivre davantage selon mes valeurs.

Mais j’ai divisé mon revenu par 3, alors même que j’étais salariée dans le secteur associatif en Belgique 😉 (Heureusement que la sobriété fait partie de mes valeurs 😉 )

C’est important :

  • de se motiver tous les jours, et d’accepter qu’on a des jours + et des jours – (bon sang une matinée à scroller sur facebook, c’est sacrément vite passé…) ;
  • de s’organiser : urgent et/ou important ? à déléguer ? court-moyen-long termes ? à partir de quand organiser Noël au magasin ? acheter de la laine en 2024 en risquant de la transformer seulement en 2026 ou la réserver pour 2025 et tout à coup en manquer ?
  • d’accepter que parfois on a tout bien fait (chouette produit ou atelier, chouette communication, chouette prix) et de ne pas en avoir les résultats ;
  • de bien tenir son budget à l’œil tout en étant capable d’investir (en produits, en formations, en temps, etc.). C’est parfois quand le chiffre d’affaires est au plus bas qu’il faut oser investir, pour aller rechercher les clients ou en trouver de nouveaux. Ce début d’année a vraiment été commercialement très difficile, et je viens de décider de participer aux 2 salons les plus chers depuis l’existence de La Laine des coccinelles. Je croise les doigts pour que ce soit rentable…

Je crois qu’il faut aussi arrêter de se lamenter et de croire que ce sont les taxes qui tuent les entreprises.
Je crois que ce c’est l’absence de taxes et impôts des grandes enseignes qui nuisent réellement aux indépendants et PME locales.

Quand j’étais salariée, je payais +- 1500€ de cotisations sociales par mois, mais je ne le voyais pas, puisque c’était mon employeur qui effectuait directement le paiement aux autorités. Aujourd’hui, je paie +-900€, par trimestre. C’est donc nettement moins. Mais là, comme tous les indépendants, je vois l’argent arriver sur mon compte et je fais le virement moi-même. L’impression est très différente.

Je suis très consciente de tout ce que ces cotisations sociales permettent, elles ne me posent donc pas de problème.

Quant au taux d’imposition, quand on voit que les plus grandes entreprises, aux bénéfices faramineux, ne paient pas d’impôt via le type de fiscalité et l’optimisation fiscales qui ne sont pas accessibles aux indépendantes et PME, là se situe une véritable injustice. Car cela diminue drastiquement les prix des grandes entreprises, tout en augmentant les rémunérations des actionnaires, alors même qu’elles ont davantage de moyens que nous pour inonder le marché.

Un conseil ? Utiliser au maximum les très nombreuses aides économiques de la Région wallonne : aide au lancement, audits, formations, stratégie digitale, etc.

Bien réfléchir, au lancement de l’activité et tout du long aux moyens spécifiques pour trouver sa clientèle en milieu rural (faible densité d’habitat, questions de mobilités, lieux de diffusion, etc.)

Quelle est ta vision sur la création d’une communauté d’entrepreneuses en Gaume ? Bien, pas bien ? Faisable ou pas ?

Je trouve ça bien.
Même si comme je l’ai dit je n’ai pas de souci particulier avec le fait d’être femme pour entreprendre. Pour avoir fréquenté d’autres réseaux, la convivialité, le non jugement et l’entraide sont plus poussés.
Il existe déjà plusieurs autres réseaux, y compris féminins, il faudra donc trouver une spécificité, outre la géographie. Et trouver comment chacune pourra retirer de quoi augmenter sa satisfaction dans son travail (sur tous les plans).

J’ai 3 propositions pour le lancement éventuel de ce réseau :

  1. Mettre en place des duos pour entraide au jour le jour. Soit avec 2 personnes sur des champs professionnels proches, pour bien connaitre le secteur, soit sur des champs très différents pour avoir un regard extérieur. Pouvoir demander un avis, travailler parfois ensemble pour être moins seule, se motiver les jours ‘’sans’’, fêter une réussite, etc.
  • Une rencontre vidéo régulière et souple où chacune raconterait en quoi elle a avancé et/ou poserait une question pour recevoir des avis ou des informations précises. Avec quelqu’un qui anime pour que ce soit dynamique (chacune à son tour ?). Participation ‘’quand on veut’’. Cela permet de se voir progresser, de mieux se connaitre, de garder la motivation si le rendez-vous est régulier, de trouver des synergies, d’avoir des réponses, etc. Tout cela sans prendre trop de temps.
  • Acheter aux indépendants locaux et PME de proximité. Ou, ‘’Faire à autrui ce qu’on voudrait qu’il nous fasse’’. Nous devons être les premières ambassadrices de la consommation locale, en bien et en services.

Je remercie grandement l’Agence de développement local Etalle-Habay-Tintigny pour l’organisation de cette soirée et de m’avoir invitée à témoigner.

Photo de Mélanie Meinbach, que je remercie.

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